Histoire du quartier Paul-Bert

3 - au Moyen âge

Que d’historiens ont pu médire de ce soi-disant "obscur Moyen-âge" !    

Régine Pernoud, lucide et courageuse, a réhabilité avec feu les valeurs culturelles de cette époque, dans laquelle le quartier de Saint-Symphorien eut également sa part. 

Revenons à ce vieux pont, partiellement en bois et réparé à de nombreuses reprises qui s’appuyait sur les deux îles de l’époque. Sur l’île de l’Entrepont, la plus au Nord, les moines de Marmoutier avaient élevé leur chapelle consacrée à Saint Ciquault. Une bastille à tour carrée de vigie - "la bastille Rabier" - s’élevait vers le Sud du pont, entre l’île Saint-Jacques et Tours. Au Nord, rive droite, le port de la "Tête noire" s’animait près de ce nouveau pont.

Depuis la mort de Martin, le faubourg était un lieu important de passage de pèlerins allant se recueillir sur son tombeau. En 938, le pape Léon VII atteste "qu’aucun lieu de pèlerinage, à l’exception de Saint-Pierre de Rome, n’attirait alors un si grand nombre de suppliants, de pays si divers et si lointains".

D’autres pénitents se rendaient à Compostelle, en Galice. Les bourgeois des villes voyaient d’un assez mauvais œil ces chemineaux qu’ils accusaient d’être porteurs de maladies plus ou moins contagieuses. De ce fait, ces "Jacquets" de Compostelle, pèlerins indésirables, venant du Nord de la Loire, devaient se loger hors de Tours, soit dans l’île Saint-Jacques, d’où son nom, soit sur la rive droite, qui devint alors l'ancêtre des "cités-dortoirs".

En effet, de nombreuses hostelleries, auberges et refuges, s’étalaient le long des anciennes voies romaines, entre les trois "barrières" du Calvaire, de Saint-Barthélemy et de la Croix-Quentin (vers Groison).

Si ces hostelleries, construites depuis le Moyen-âge jusqu’à la fin de la Renaissance, étaient ouvertes aux voyageurs et aux pèlerins valides, il y avait aussi d’autres lieux d’hébergement pour les malades, comme celui situé au coin de la rue de l’Aumône (aujourd’hui rue Jacquard), dénommé Hôtel-Dieu de Saint-Jean-Baptiste-des-Ponts. Cet hôpital, construit en 1253 par Jean de Pontlevoy, reçut jusqu’à sa destruction au tout début du XVIIIe siècle, les pèlerins malades.

Ensuite, sur son emplacement, on édifia une hostellerie qui fut le terminus de plusieurs services de diligences. 

Le tout fut détruit du 9 au 11 novembre 1766 par un incendie et, à la fin du XIXe siècle, après une dernière destruction de ce bâtiment, fut construite l’actuelle école Paul-Bert.

Revenons à l’époque ou les ruelles du quartier de la rive droite de Loire accueillaient donc les itinérants dans de nombreuses auberges, dont les appellations sont restées, parmi lesquelles : Rochemardon, qui a donné son nom à une petite rue ; Sainte-Catherine, dont on peut encore voir, à l’angle des rues Losserand et Rochemardon, la façade avec son poteau cornier qui montre la sainte d’Alexandrie appuyée sur la roue de son supplice.

L’actuelle rue Losserand et son prolongement rue du Nouveau-Calvaire furent établis sur l’emplacement de l’ancienne voie gallo-romaine, parallèle à la Loire, mais assez haut pour défier les crues du fleuve.

Au Moyen-âge, la Loire était navigable et les habitants du faubourg, de pêcheurs qu’ils étaient durant les premiers siècles, devinrent des mariniers puis des commerçants et des aubergistes.

En bordure du fleuve et sur le passage des pèlerins, la vie du village fut toujours étroitement liée à la navigation sur la Loire et au flux des voyageurs.

Sur le pont, la nuit, on relevait les ponts-levis, coupant la voie en trois tronçons et on barrait la Loire avec une chaîne qu’on levait et dont une ruelle du quartier a gardé le nom.

En 1199, avant la mort de Richard Cœur-de-Lion, les barons du Poitou vinrent piller le faubourg de Tours et en furent chassés par l’armée royale, mais ils revinrent en 1203.

Tours ne resta pas longtemps aux mains des Anglais car, en 1205, Philippe Auguste annexa la Touraine à sa couronne et Saint-Symphorien devint une chatellerie attribuée à Marmoutier.

L’abbaye contrôlait tous les établissements du fief ; elle était presque aussi riche et puissante que celle de Saint-Martin, possédant plusieurs chatelleries : Clos Libert, Carcassonne, Beauregard, Monsoudun, Colombier, La Salle, La Milletière, Les Douets.

En 1203, Tours eut en un an quatre monarques des maisons royales de Blois ou d’Anjou.

En 1368, en pleine guerre de Cent ans, Gascons et Anglais, venus de la rive droite, voulurent investir Tours, mais échouèrent sous les remparts de la "Grande Clouason", vaillamment tenue. L’année suivante, Jean V de Bueil, compagnon de Boucicaut et de Duguesclin, vint chasser les Anglais des rives de la Loire et dégager la cité de Tours, laquelle fut à nouveau réinvestie plusieurs fois par la suite, de 1369 à 1429, avec tant de destructions maintes fois relevées et renouvelées avec persévérance

Puis vint le XVe siècle et la recrudescence de cette épuisante guerre de Cent ans, si mal appelée, car elle dura en fait trois siècles entre le XIIe et le XVe.

En 1417, sous la menace des Anglais, le pont était partiellement démoli. Le danger écarté, il fut procédé à sa reconstruction, les arches étant toutes appareillées en pierre : seule demeurait une passerelle en bois à la hauteur de la chapelle Saint-Cycault.

En 1429, Jeanne d’Arc, venant de Chinon, séjourna à Tours où elle fut armée, bannerée et nantie d’une sollicitude royale avec état-major et troupe. Elle partit de Tours pour aller délivrer Orléans. Trompée par d’intrigants conseillers, au lieu de s’acheminer par la rive gauche, elle passa la Loire sur le vieux pont roman pour accéder à Saint-Symphorien et, de là, marcher sur Blois. La plaque posée en 1929 près du pont de fil mentionne ce passage.

Elle passa donc devant l’église. Celle-ci, détruite en 853 par les Normands, avait été rebâtie, détruite à nouveau en 903, reconstruite en style roman de 1140 à 1160 et dont il ne reste que l’abside si peu visible. Le siècle de Jeanne la vit s’agrandir en style gothique.

Plus tard, voici Louis XI, le premier de ceux qu’on nomme "les Rois Tourangeaux". Tours fut sa capitale choisie. La soierie enrichit la province ligérienne et le quartier Paul-Bert en profita avec l’intense culture du mûrier et ses premiers tissages de soie, qui devaient prospérer de Groison au Calvaire, en passant par l’actuelle rue Losserand, jusqu’à la Révolution, malgré la fâcheuse incidence de la lourde faute de Louis XIV à l’encontre du protestantisme.

Du Moyen-âge, il ne subsiste à peu près rien à Paul-Bert de la partie si florissante jadis de sa rive de Loire. La batellerie fluviale se développa et, au pied des arches du Vieux-Pont, "des moulins flottants" à roue actionnée par le courant d’une Loire qui ne connaissait pas l’ensablement, s’établirent pour durer environ deux siècles.

Comme nous l’avons déjà vu, pour entrer dans Tours, le voyageur qui venait du Nord, de l’Est ou de l’Ouest, passait obligatoirement par l’une des trois barrières du faubourg :

1 - La barrière Saint-Barthélemy.

2 - La barrière de la Croix-Quentin.

3 - La barrière de Marmoutier. 

1 - Arrivant de Paris, en passant par Chartres et Vendôme, le voyageur aperçoit devant lui le faubourg Saint-Symphorien qui s’allonge entre le fleuve et la roche calcaire. Surmontant des maisons à pans de bois, des pignons pointus lui désignent la rue principale située de part et d’autre de l’église. Puis c’est le pont Eudes, plus loin les imposantes murailles percées de portes et de tours, devant la masse des toits et des clochers et, encore plus loin, la campagne jusqu’aux pentes du coteau de Saint-Avertin.

Après avoir admiré ce site, il arrive à la "barrière Saint-Barthélemy". La descente est relativement raide et assez pénible à cause des ornières de la voie plus ou moins bien empierrée.

Une fois la barrière franchie, il lui faut poursuivre la descente parmi des maisons à pans de bois, puis les premières auberges qui accueillent les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle d’où leur nom : le "Chapeau Rouge" et le "Chariot d’Or".

Plus au sud, d’autres hostelleries se succèdent : le "Cygne de la Croix", le "Plat d’Etain", la "Corne de cerf". Elles sont toutes pratiquement similaires : à pans de bois et, à l’intérieur, des chambres et une salle à manger disposant d’une vaste cheminée ; à l’arrière dans une cour, les écuries et une cave taillée dans le roc. Enfin il arrive près de l’église Saint-Symphorien.

   Pourquoi, toutes ces auberges ? Il y a au moins trois raisons :    

 A        Après une longue route, des voyageurs arrivaient souvent fort tard et il fallait héberger ces retardataires, au moment où les ponts-levis étaient relevés.

 B        Cet itinéraire était très fréquenté : il était donc avantageux d’accueillir cette large clientèle de pèlerins, de commerçants, de messagers, de diplomates…

C        L’espace ne manquait pas de ce côté de la Loire et le terrain était d’un prix raisonnable.

 2 - Si le voyageur venait d’Angers et de Saumur, en suivant la Loire au bas du coteau, de très loin il apercevait les tours de l’église Saint-Martin et de la Cathédrale Saint-Maurice (actuellement Saint Gatien).

Au niveau du carrefour de la Croix-Quentin, quelques mètres plus à l’est, il s’arrêtait à la barrière du même nom, puis il arrivait rue du faubourg Saint-Symphorien. Là encore, de nombreuses auberges et hôtelleries proposaient leurs services .

3 - Si c’est le pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle, parti d’Orléans et atteignant le faubourg Saint-Symphorien par la barrière de Marmoutier (qui se dénommera plus tard au XVIIe siècle "la barrière du Vieil Calvaire"), il apercevait le bâtiment de l’octroi, puis, s'approchant de l’église Saint-Symphorien, il trouvait quelques hôtelleries toutefois moins nombreuses que sur les deux autres chemins du faubourg.

En fait, l’abbaye de Marmoutier pouvant accueillir la majorité des pèlerins, ces derniers profitaient de la soirée pour aller s’y recueillir. Au petit matin, ils repartaient pour Tours et le tombeau de Saint-Martin, étape indispensable sur la route de Saint-Jacques. Seuls quelques attardés s’arrêtaient dans une hôtellerie du faubourg avant la nuit et avant la fermeture du pont.