Le Père Joseph (Le Clerc du Tremblay)

On se souvient que Richelieu avait auprès de lui, une éminence grise, mais que sait-on vraiment du Père Joseph ?

 

Si plusieurs ouvrages furent consacrés à ce discret personnage, peu d’entre eux sont fiables. Qui était en réalité le Père Joseph ?

 

- Un saint homme de moine qui convertit les foules et remua villes et campagnes.

 

- Le fondateur de l’ordre contemplatif des Bénédictines du Calvaire, toujours vivant, où l’on garde son souvenir et certains de ses manuscrits.

 

- L’éminence grise, conseiller écouté du Cardinal de Richelieu, diplomate rusé, peu regardant sur les moyens utilisés.

 

- Un écrivain spirituel et idéaliste.

 

Le Père Joseph est difficile à cerner, il est tout à la fois.

 

Dans son livre  "La Touraine au fil des siècles" Guy-Marie OURY écrit : Chaque année, le jour anniversaire de sa mort, ses filles spirituelles les Bénédictines du Calvaire, relisent un éloge hérité du grand siècle : "Il vécut en la Religion, digne d’être désiré en la Cour. Il mourut en la Cour, digne d’être admiré de la Religion". Est-ce à la première ou à la seconde qu’il appartint le plus ?

 

Né en 1577, Joseph (François Joseph Le Clerc du Tremblay) dit le Père Joseph, fut tout d’abord un jeune Capucin qui aima cette vie spartiate, allant pieds nus dans la boue et la neige pour mendier sa pitance. Il le confirme dans son "Introduction à la vie spirituelle" écrite pour les novices de son ordre des Bénédictines du Calvaire, lorsqu’il était provincial de Touraine.

 

Le 8 mai 1609, sous la fin du règne d’Henri IV, le chapitre de la province de Paris l’avait en effet nommé gardien du couvent des Capucins. Ce couvent, dont l’implantation avait été décidée par le roi, en 1601, se situait à la place du Grand Séminaire, devenu par la suite la Maison de retraite Choiseul. Actuellement il ne reste que l’ancienne conciergerie au 10 de la rue Losserand.

 

L’année suivante, en février 1610, il fut décidé que la province de Paris serait divisée en deux pour créer la province de Touraine, s’étendant de la Normandie et du Perche à la Saintonge.

 

Né à Paris, le Père Joseph aurait dû rester dans sa province d’origine, mais comme il s’occupait alors de la réforme de Fontevrault, ses supérieurs décidèrent de le laisser à Tours et c’est dans notre région qu’il prit goût aux bords de Loire où il imaginait, dans ses méditations, la maison rupestre de Nazareth à travers les habitations troglodytes de Sainte-Radegonde ou de Rochecorbon.

 

A ce sujet il écrit : "La Vierge naquit en une maison champêtre, a vécu pauvrement et a été arrimée avec un charpentier, logée dans une grotte à Nazareth, qui était dans le rocher et sans fenêtre, comme l’on voit le long de la rivière de Loire, où les pêcheurs et pauvres gens habitent…"

 

Néanmoins le Père Joseph apprécie les jardins et la nature disciplinée par l’homme et cela transparaît dans les comparaisons dont il émaille ses livres.

 

Mais comme on l’a déjà vu, la nature sauvage l’attire aussi, il montre la grâce figurée par des fontaines "dont la source, écrit-il, est si vive dès le pied du roc, qu’elles se tracent d’elles-mêmes un libre cours parmi les vallons et les plaines pour former de grosses rivières qui reportent dans le sein de leur océan grande quantité d’eau, ainsi que des vassaux puissants qui vont avec train rendre tribut à leur prince".

 

Cette forme poétique ne doit cependant pas cacher son austérité fondamentale : il voyage toujours à pied, quelle que soit la distance à franchir et, de retour au couvent, réchauffé ou transi, sec ou trempé par la pluie, il va aussitôt rejoindre la communauté dans ses occupations ou sa prière.

 

Un exemple, le chanoine de Saint-Martin de Candes, a assuré que le Père Joseph, allant de Saumur à Chinon faire sa visite en l’année 1613, logea chez lui. Au crépuscule il demanda à ses compagnons de rester au logis et de se reposer pendant qu’il irait faire "quelques prières en la chapelle de Saint-Martin, où ce saint rendit son bienheureux esprit ". La porte de l’église étant fermée, il demeura toute la nuit en oraison dans le cimetière, proche de cette chapelle, où il fut vu à genoux.

 

Le chanoine déclara "qu’à sa connaissance II n’avait fait si froid ni gelé si âprement que cette nuit-là, et que le Père, étant retourné à la chambre sans se chauffer, prit ses compagnons et alla à Chinon".

 

Le Père Joseph de gardien de Tours, reçoit en 1611, notification de son rattachement à la nouvelle province. Il doit s’occuper de l’Ordre de Fontevrault et assumer de nombreuses prédications dans les villes des bords de Loire.

 

Nommé conseiller du provincial en 1612, il devient lui-même provincial, dès septembre 1613.Mais en ces temps, l’état politique du Royaume inspire les plus graves inquiétudes car un conflit a éclaté entre la Régente et les Princes, ces derniers souhaitant reprendre en mains, à la faveur de la minorité, leurs prérogatives passées.

 

Les Etats généraux ont été convoqués et se sont prononcés pour le Roi, et le Tiers a pratiquement sommé le petit Souverain d’avoir à mettre au pas la noblesse rebelle. L’attitude hostile du Tiers vis-à-vis de l’Eglise a apporté à la noblesse le renfort du premier Ordre. Il semble qu’entre la Régente et les grands du Royaume une lutte armée doive s’ouvrir.

 

Les circonstances vont faire du Père Joseph le médiateur du conflit, l’accueil que lui a réservé à Saint-Maixent le Prince de Condé a poussé le capucin à faire des ouvertures d'accommodement de son propre chef. On l’a écouté.

 

ll décide alors de faire le siège des autres chefs du parti les ducs de Mayenne et de Longueville. Il s’en tire si bien que la Reine et le nonce Ubaldini mis au courant l’accréditent en lui donnant officiellement la mission de traiter.

 

En quelques semaines, il a acquis la réputation du plus habile homme du royaume A chacun il parle un langage susceptible d’être entendu, il ne néglige pas non plus les satellites, convaincu que leur influence peut être déterminante. De Loudun où se sont assemblés les Princes, ii court à Tours ou à Blois où réside la Reine-Mère, "voyageant à pied tant de nuit que de jour, par des chemins mauvais et périlleux, et faisant tant de diligence que les meilleurs piétons ne le suivaient pas sans peine".

 

A force de persévérance et d'habileté, il finit par trouver un compromis là où les politiciens de métier n’avaient rien obtenu. "Cet homme, disait M. de Bouillon, (le farouche ennemi de Richelieu), tient les remèdes prêts à toutes mes nouvelles propositions ; il pénètre toutes mes pensées ; il sait ce que je n’ai communiqué qu’à bien peu de personnes, de la discrétion desquelles je suis assuré. Et il va à Tours, et il en revient, à pied, dans les fanges, les glaces et les neiges, par tous les temps les plus fâcheux, sans que jamais personne le puisse remarquer et crois un diable dans le corps de ce Père".

 

Il revint plus d’une fois à Tours, mais sans qu’il n’ait pu trouver le temps, au cours des deux dernières années de sa vie, de venir visiter ses Calvairiennes, bénédictines, chargées du soin des malades, qui s’installèrent le 5 août 1636 dans leur couvent rue du Vieux-Calvaire (actuellement, 40, rue de l’Ermitage), à quelque distance seulement de l’église Saint-Symphorien.

 

Désormais, réclamé sans cesse par la Cour, ce fut la fin de la paix relative dont il jouissait au sein de la vie religieuse.

 

Source :

Guy-Marie OURY, "La Touraine au fil des siècles", C.L.D. Normand & Cie éditeur